La cinquantième législature d’Haïti a, le dimanche 14 février 2016, posé l’acte le plus significatif de son mandat sur un abus. Cette législature dans laquelle se trouve bon nombre d’élus dont l’élection est questionnée a débuté sur le chapeau des roues en élisant un président provisoire enrobé dans un nuage de favoritisme. Malgré les efforts héroïques de jeunes parlementaires qui avaient exhorté leurs aînés de ne pas se mettre dans la position de juge et de partie à la fois, les chefs s’étaient bouchés les oreilles. Ils vont pousser leur surdité même plus loin en permettant au sénateur Jocelerme Privert, de voter alors que les deux autres candidats, Déjean Bélizaire et Edgard Leblanc Fils assistent impuissants à une procédure dans laquelle ils sont a priori en position désavantageuse!
Qui plus est, les règles du jeu sont inventées sur le vif. Le protocole des cérémonies est improvisé pour une prestation de serment immédiate, en violation à l’accord signé entre le parlement et l’exécutif. Un parlementaire a la décence de soulever la question de l’inégalité des chances des candidats si l’on permet au sénateur Privert de voter. Les pères conscrits qui, pourtant, ne devraient pas être étrangers aux idéaux de justice sont incapables de percevoir le préjudice que fait subir leur démarche aux autres candidats.
La séance débute la veille sur des palabres concernant la modalité du décompte des votes. Malgré que traditionnellement les deux chambres votent ensemble pour l’assemblée nationale, certains parlementaires calculateurs veulent un vote séparé entre elles. Ils ont gain de cause. Andris Riché fait alors un tintamarre sur l’accréditation de la vérification des pièces des candidats. On soupçonne qu’ils ne remplissent pas les conditions requises par l’appel à la candidature. Le rapport avait mentionné que les candidats avaient payé leurs impôts en catastrophe, entre autres. Ce n’est qu’une tempête dans un verre d’eau. Selon le consensus de l’heure, Riché retire étrangement sa demande. Ainsi, Leblanc et Privert se partagent les chambres. Privert emporte le sénat par 13-10, le sénateur Steeven Benoit n’étant pas présent, et Leblanc s’octroie la chambre des députés par 46-45, avec un vote blanc.
Les parlementaires remplissent à nouveau les urnes, selon l’arrangement de fortune bâti pour la circonstance. Il est alors aisé à Privert de se faire élire par ses collègues, ayant, par surcroît, le privilège de voter pour lui-même. Le sénateur Murat Cantave avait laissé la salle, pressentissant l’accomplissement de ce dont il avait dénoncé la possibilité dans sa lettre de démission de la commission de vérification des dossiers, notamment que l’on allait favoriser l’élection de Privert. Cette fois-ci Privert collecte ses 13 votes contre 9 pour Leblanc au sénat, alors qu’à la chambre des députés il a la part du lion avec 64 votes. Leblanc a 28 votes. Contrairement au premier scrutin, Bélizaire bénéficie de 2 votes. Enfin. Il y a un vote blanc et un vote nul. La razzia que l’on préparait pour Privert n’a lieu qu’au deuxième scrutin mais a quand même lieu.
Privert remet sa démission comme sénateur et prête serment à l’aube. A soixante deux ans il est élu président provisoire d’Haïti pour une période de 120 jours, avec des points d’interrogation qui semblent être le cadet de ses soucis. En Haïti, à prendre le pouvoir, tous les moyens sont bons. Les magouilles ne le sont que lorsqu’elles sont contre soi, disait-on récemment. Souhaitons que durant son court mandat le président émule Dumarsais Estimé qui prit lui aussi le pouvoir dans des circonstances contestables mais va faire pleurer le peuple lorsqu’il partira.
Il y a de l’espoir avec les jeunes parlementaires de la cinquantième. Souhaitons qu’ils maintiennent cette cohérence. Les réflexes des anciens sont les mêmes. Toujours décevants. L’Anglo-saxon nous dit : « You cannot teach an old dog new tricks », on ne peut pas enseigner des nouveaux tours a un vieux chien. Que l’on aurait aimé pour une fois contredire cet adage !
Marc-Arthur Pierre-Louis