L’ineffable métamorphose attend notre sursaut

L’ineffable métamorphose attend notre sursaut

NLDR Nous publions un article de l’ingénieure Ginette Chérubin paru dans le Nouvelliste a ce lien  http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/159492/Lineffable-metamorphose-attend-notre-sursaut. Un article a lire et à relire.

L’ineffable métamorphose attend notre sursaut

Vers la geste du troisième centenaire (II)

GinetteEst-il encore possible de rêver d’épopée dans un pays où la survie s’est installée en mode de vie ? Où la précarité est l’option plus, l’oméga, l’alternative unique ? Où une résilience pathologique classée désormais label national a été officiellement consacrée par la palme d’or du nouvel ordre mondial ?

Est-il possible de rêver encore d’épopée dans un pays où des êtres humains en proie aux conditions de vie les plus exécrables et enfermés dans le ghetto d’une exclusion plus que séculaire semblent en être arrivés à douter de leur humanité ?

Imposez-vous un moment le flashback d’une scène : cette femme, un bébé dans le ventre, s’éteignant à petit feu à même la chaussée, dans l’indescriptible transe des douleurs de l’enfantement. Elle crève, faute de soins (ô ironie du sort !) au seuil de l’hôpital universitaire d’Etat dans une capitale du monde, en plein centre de la ville, au XXIème siècle !
Tout est dit du pays dont on parle.

« SOS Ayiti coule ! »

Page retrouvée. C’était en 2003. Tel a été, à cette date, le titre du premier article d’une série que j’avais osée entamer pour sonner l’alarme. Il avait été suivi d’un cri de désespoir : « Rendez-moi mon âme ! » que certains avaient jugé opportun de diffuser sur les réseaux sociaux. Treize ans ont passé. Treize années où dans la dynamique d’une militance pour le changement, d’autres appels et des actions ont fait écho. Mais alors que certains s’affairaient à jouer les équilibristes pour ne pas crever ; que d’autres se figeaient dans un attentisme stérile ; que d’autres, enfin, s’encrassaient dans de basses besognes de traites à la Nation ; d’alliances en mésalliances, le secteur progressiste s’est évertué à mener le combat, autant qu’il le pouvait. Dans des débats, à travers des prises de position, à même le béton sous le soleil cuisant… Au final, vaines gesticulations. Pas d’impacts patents. L’héritage est définitivement trop lourd ! ! !

Tous les indices sont rendus au rouge.
N’est-il toujours pas évident que le sauve-qui-peut, trop individuel, n’est ni panacée, ni traitement ? Les lucioles ne pourront jamais générer la lumière adéquate pour percer les ténèbres. Et quel est le sens d’un frêle rayon de soleil, dans une géhenne infinie ? Le sauvetage individuel est stérile et ne sert qu’à faire proliférer les autruches !

En Haïti, seul bilan lucide : la faillite.
Le désespoir s’enracine suite à des traumas successifs. De1804 suivie de l’euphorie découlant de cette prodigieuse prouesse à la chute au fond de l’abîme, le parcours a été ponctué de chocs percutants : les luttes fratricides de pouvoir ; les conflits terriens et le pied de nez à une majorité devenus nos valeureux paysans ; la gifle de la dette de l’Indépendance ; les affronts de Luders, Batch et consorts ; l’occupation de1915 et la traque inique au déracinement culturel par la campagne de rejete ; la funeste dictature trentenaire des Duvalier ; les désillusions de 1986 ; le séisme meurtrier de 2010 ; la mort lente de l’Etat ; l’interminable agonie de tout un peuple…

Aujourd’hui plus que jamais, toutes les catégories socio-économiques sont insatisfaites ; tous les secteurs sont déficients ; toutes les instituions éclatent… Le rapport de la Commission indépendante d’évaluation et de vérification CIEV vient de prouver l’ampleur, dans notre société, de la corruption électorale et de la dépravation tout court. La déliquescence est générale. D’Etat défaillant à Etat failli puis Etat bandit, l’Etat haïtien est passé par le statut que je qualifie d’Etat en déroute pour devenir aujourd’hui tout simplement un Etat fictif. Nous avons fini par faire d’Haïti « un faux coin » pour paraphraser le mot d’accueil du boy africain de service en notre résidence à Tabou, contrée de la Côte d’Ivoire où mon ex-époux, le Dr Richard D’Meza, avait un contrat de Directeur médical. Oui. Un « faux coin »…

Haïti va à l’eau !!!
Mais que voulons-nous faire de ce pays, pardieu !
Dans ce monde de pestilence et de chaos, je voudrais ne jamais vous avoir connus. Hélas ! S’impose l’aveu du Cid : « Je vous connais encore et c’est ce qui me tue. » Je voudrais être perçue comme atypique de votre engeance, de l’espèce de celles et de ceux qui m’entourent. Mais vous seriez en bon droit de me ramener à la réalité en clamant le mot d’Hugo : « Ah ! Insensé qui croit que je ne suis pas toi ! »

Parce que JE suis VOUS !

Car de vous à moi : nous vivons sous les mêmes cieux, nous souffrons des mêmes maux dans un pays où toutes les caricatures sont possibles. Comme vous, j’entends les promesses creuses des discours politiques ; j’observe le jeu de poker menteur des marrons invétérés et roublards. Comme vous, je rencontre les mêmes détritus à chaque coin de rue ; je respire le même air vicié, saturé d’odeurs nauséabondes de pisse et crottes ; je me révolte à voir les eaux en crue charrier la terre nourricière, dévaler les collines et noyer les villes ; je m’écœure à voir les logements de pauvres devenir leurs sépultures ; je suis consternée face aux conditions de transport des laisser pour compte suspendus à des cordes ou entassés l’un sur l’autre, si non l’un dans l’autre comme du bétail à destination de l’abattoir dans les bacs à camions-cercueils; je suis déchirée par l’intensité de la souffrance des malades sans soins ; je m’insurge contre la maltraitance des restavèk, la violence de genre, la scène poignante des enfants qui se lavent et se désaltèrent de l’eau souillée des caniveaux ; je suis dévastée par le désarroi des jeunes qui ne savent plus si le soleil se lève ici et qui, dans la nuit profonde de leur vie, ne rêvent que de l’ailleurs ; j’enrage contre le traitement diffamatoire ostracisant nos compatriotes en République Dominicaine ; je suis hantée par l’Himalaya de cadavres du 12 janvier dont l’ampleur quantitative n’est pas tout simplement le fait de la fatalité.

Je me souviens du miroir aux alouettes des lendemains du séisme : les résolutions, les engagements, tous les zéros grossissant les chiffres verts annoncés pour la reconstruction. Oui. Je me souviens …
Où sont-ils enfouis ces serments ?
Dans la boue, dans la fange de la mystification et de la corruption…
Je vis dans la même merde que vous. Je suis rongée et avilie par la même déchéance.
Sans avoir voulu être un oiseau de mauvais augure, l’un de mes ouvrages « Le ventre pourri de la bête » – qui présente l’exercice électoral comme un baromètre du niveau de responsabilité collective d’une société et dont le titre exprime littéralement ce niveau avec une emphase sur l’état décomposition dans lequel nous nous trouvons – semble avoir annoncé l’épanchement de la purulence qui, aujourd’hui, nous éclabousse en pleine face.
Mais la nature a des cycles. Et paradoxalement il faut que pourrisse le grain pour que s’amorce la germination.
Le grain a bel et bien pourri.

Alors de nouvelles poussent doivent être en gestation. Il devrait encore subsister un reliquat d’espérance. Un nouveau vivier peut naître.
Deux siècles après 1804, il est venu le temps d’accomplir la geste épique du troisième centenaire, la nouvelle page d’histoire de notre peuple qui marquera l’époque contemporaine.

Doit-on crier : « aux armes « ? Alors il faudrait, commencer par nous tuer tous, nous-mêmes !

Non. Pas d’assaut de grenadiers armés vers le front.
Le XXème siècle nous a légué le paradigme de la non-violence à travers les enseignements du Mahatma Gandhi, de Martin Luther King, de Nelson Mandela (celui-ci après pacification de la lutte armée)…

Dans ce même élan, il est opportun de relancer le concept de l’insurrection citoyenne inspiré au professeur, Roody Edmé, par le livre déjà cité : « Le ventre pourri de la bête ». L’insurrection citoyenne peut éviter l’effusion de sang car l’arsenal résultera d’un déclic décisif qui en fournira le matériel, les instruments et les outils : réveil civique, émergence d’un leadership sain, prise de conscience collective de la mission historique qui nous incombe en tant que peuple face aux enjeux liés au pourrissement irréversible d’un système condamné à disparaitre et à renaître.
L’ineffable métamorphose attend notre sursaut.
Mais un préalable s’impose, cependant : revisiter le leit motiv « l’Union fait la force » claironné à tue-tête. Trop souvent. Mais aujourd’hui, dépouillé de sa substance.
Aucune union ne se construira sur l’exclusion et le déséquilibre qui perdure depuis plus de deux siècles. Trop de contentieux à vider. La fracture sociale est béante. Toute alliance édifiée dans ce contexte est frappée de forclusion. Mort née. D’où la grande faille de 1804.
Pour puiser à nouveau de mes pages retrouvées :
« Si la folle avait su, avec les restes de l’Empereur, recueillir le projet de nation !
Si la folle avait su, avec les restes de l’Empereur, ensemencer la Patrie des germes de l’avenir !
Si seulement Défilée avait su … » ( article . Le Nouvelliste…)

Alors n’existeraient pas : le pays andeyò ; les Soyèt, Tijospeh , nèg bosal, gwo zotèy, fanm tèt kwòt, kokobe moun lèd, vye granmoun, !!!
Le pacte de 1803 était conjoncturel et politique. Sans un socle social ayant un potentiel rassembleur. 1804 a restitué au concept humanité toute son essence et a consacré l’universalité du principe que tous les êtres humains naissent et meurent égaux en droit. L’acquis le plus précieux de toute l’histoire de l’humanité. Mais, faute de consensus autour d’un projet de société, la Nation haïtienne a trop tôt émergé. Née au forceps et « difforme » telle que la présente Alix Mathon. Et selon ma propre perception : hideuse d’ostracisme, d’injustice, de malice, de fòs kote …

La geste du troisième centenaire doit curer cette gangrène et s’inscrire dans la dynamique d’un projet de société endogène fondé sur un pacte honnête entre les toutes filles et tous les fils de notre mère Patrie.

L’humilité, le respect de l’autre, la restitution de la dignité humaine aux exclus, la reconnaissance du droit universel à la citoyenneté, la rupture avec les pratiques hypocrites et mensongères, la conscience d’un même territoire pour nous tous (et rien qu’une part d’ile !), la nécessité du vivre ensemble devraient constituer les premières mises.

Cette fois, il ne s’agira plus d’attendre le Messie qui viendra nous sauver parce que porteur d’idées. Car il est, désormais, question de responsabilité citoyenne collective.

Au nom de cette responsabilité citoyenne, je me permets d’oser encore lancer un appel à tous mes compatriotes, à travers les secteurs vitaux et organisés auxquels ils appartiennent et qui ne se lassent point de débats, de rassemblements et de manifestations : Arrêtez de vous dissiper pour atteindre la phase productive et concrète de votre lutte. Sortez de la nébuleuse du marronnage ! Concentrez-vous désormais sur l’élaboration d’une synthèse de vos années de réunion (parfois ponctuées de disputes stériles) pour en tirer des conclusions pertinentes. Attelez-vous à articuler enfin une vision commune dans vos domaines d’expertise et de réflexion. Diffusez-la ! Faites-en le plaidoyer ! Défendez-la ! Propulsez cette force motrice et impliquez-y la jeunesse qui se veut proactive dans l’édification de la Nation et qui s’y prend parfois si mal ! Telle sera une excellente opportunité pour l’Université de jouer l’un de ses rôles les plus cruciaux : celui de creuset de vos travaux pour en dégager, dans chaque domaine, les éléments moteurs du pacte du peuple haïtien qui devra être intergénérationnel. Ce processus inclusif et participatif mènera, dans son cours normal, à l’émergence d’un porte étendard légitime de notre vision consensuelle de peuple. Vision qui devra alimenter l’inéluctable nouvelle Constitution d’Haïti.

Partons ensemble pour un même combat, vers un idéal commun, NOUS, les rescapés du 12 janvier. Pour, au moins, mériter cette faveur extraordinaire d’être encore en vie !
Soyons des gouverneurs de la rosée !
Telle est la démarche de la mission du troisième centenaire et de l’insurrection citoyenne dont nous devons nous octroyer le mandat. Objectif : nourrir les nouvelles pousses jaillies du grain pourri pour cette moisson que sera le pacte intergénérationnel de la nouvelle Nation haïtienne, renforcé des valeurs fondamentales de notre histoire pour affronter les grands défis du moment :
1)La récupération de notre souveraineté nationale
Continuons à dire NON à l’indécence de l’ingérence étrangère et, dans notre tradition d’avant-gardistes de l’histoire de l’humanité, posons les jalons de nouveaux rapports Nord/ Sud.

2)La réappropriation de notre autodétermination de peuple
Prenons en main notre destin, en citoyennes et citoyens responsables, pour mettre fin à l’assistanat dégradant et entamer résolument la vraie construction de notre pays après une trop longue déconstruction

3)La réhabilitation de notre dignité
Réparons les outrages faits au peuple haïtien et à la Nation haïtienne.
Honorons la mémoire de nos ancêtres trop souvent ternie dans le délire verbiager de leaders de paille qui s’y rabattent pour camoufler le vide de leur rhétorique discursive.

Deux cent douze ans après la plus spectaculaire lutte émancipatrice de tous les temps, deux cent dix ans après l’assassinat de l’Empereur, un siècle après la résistance héroïque de nos vaillants kakos face au projet impérialiste, trente ans après la chute de la sanglante dictature des Duvalier, il faut marquer le tournant à l’encre forte.

Qu’elle soit enfin digne à jamais de nos aïeux, notre Patrie !
Haïti, c’était NOUS, ce sera NOUS !
Haïti, c’est NOUS !!!

Ginette Chérubin

One Response

  1. Marc
    Marc - at - - Reply

    Un très bel article venant d’une belle tête.

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