
A perdre quatre parties de suite au jeu de dominos ou au jeu de dames, on reçoit le « vyèj » ou le pion. L’adversaire vous dépasse. Il vous faudra quatre victoires d’affilées pour jouer à son niveau. En observant l’élection du président Privert, on ne peut s’empêcher de penser qu’il jouait avec un pion : son propre vote. En se donnant injustement un avantage aux dépends de l’adversaire, on déclare sa faiblesse. Il vous faut une avance pour matcher son jeu. Mais Edgard Leblanc et Déjean Bélizaire, ils n’ont pas volontairement offert un pion à Privert. Le parlement leur a plutôt damé ce pion.
La présidence provisoire évolue normalement en deuxième division. Elle prépare l’entrée en première pour les autres. A tirer son épingle du jeu en deuxième, cela peut dans le futur vous ouvrir l’accès à la première, selon l’équité de vos actions, l’efficacité de votre administration, les services rendus à la nation. Là, on peut par sa rectitude, justice, fair play, désintérêt, gagner la sympathie du pays. Mais en l’y accédant par des moyens contestables et injustes, on débute avec un déficit de crédibilité qui vous régresse alors en troisième. Il est impérieux maintenant de mettre des bouchées doubles pour au moins se retrouver en deuxième. C’est malheureusement en troisième que se trouve maintenant le président.
De multiples violations éthiques
Révolution éthique car le problème Haitien est essentiellement éthique
L’historien Alin Louis Hall raconte constamment que le salut d’Haïti passe par une révolution éthique. Il est sur une lancée critique ici. Nous le rejoignons dans cette direction. Par le passé nous avions dit en maintes reprises que le problème haïtien est essentiellement un problème éthique. A la base de nos malheurs, on retrouvera des dérogations aux principes éthiques les plus fondamentaux. L’élection du président provisoire en a été un exemple.
Des règles manipulées
L’institution parlementaire promulgue des règles outrageusement à l’avantage des siens
Les dés sont pipés dès qu’une élection est organisée par les parlementaires, pour un parlementaire contre des non parlementaires. Le parlementaire l’emporte. La volonté de l’octroi des privilèges immérités au collègue peut bien être indexée et décriée par certains parlementaires. Ils peuvent dénoncer le rôle de juge et partie que joue le parlement. Ce sera le cadet des soucis des chefs de file de l’institution. Elle établit les règles du jeu, les promulgue outrageusement à l’avantage des siens. Privés du droit de contestation, les autres concurrents sont dans l’impossibilité d’articuler leurs revendications et doivent se plier sans rechigner aux caprices de l’establishment. Le parlementaire est tout heureux de voir en clair ligne d’arrivée à la présidence, car à force de crocs-en-jambes ses collègues mettent ses concurrents hors d’état de nuire. Bélizaire et Leblanc ne peuvent pas faire valoir un droit de motion. C’est pire qu’a un procès où on peut converser avec son avocat. Eux, ils sont muets. Dans la cour de supplices, ils observent le jeu qui se joue devant leurs yeux. Les règles sont établies sur le vif pour privilégier Privert. Ils doivent se sentir des bâtards. Le danger auquel les parlementaires clairvoyants faisaient référence arrive.
1) Contrairement à la tradition de l’assemblée nationale on force un vote séparé entre les deux chambres, pensant que cela privilégierait le parlementaire. Le contraire arrivera.
Des parlementaires bloquent la vérification du travail de la commission de vérification des dossiers des candidats, exactement ce dont ils blâmaient Opont.
2) Le sénateur Riché veut vérifier le travail de la commission de vérification des dossiers. Des parlementaires volent immédiatement en action pour empêcher à sa requête d’aboutir. Ils l’accusent de tous les maux, arguant que la commission est au dessus de tout reproche. Certains partisans du PHTK relèvent, avec raison, l’ironie que certains de ces mêmes parlementaires qui criaient haut et fort pour une vérification du travail du CEP maintenant remuent ciel et terre contre une vérification du travail de leur CEP. En fin de compte, pire que le CEP d’Opont, inimaginablement, pas même une vérification aléatoire n’eut lieu ! Un comité au-dessus de tout reproche dans un parlement haïtien ? A-t-on déjà oublié les sagas des ministres votés par le parlement sans remplir pas les conditions d’éligibilité ?
Un essai insuffisant de réduire l’avantage parlementaire
Les faiseurs de rois ne devraient pas se mettre dans la lignée du roi, au risque de s’oindre eux-mêmes.
3) Le 12 février, le sénateur Dieupie Chérubin conseille au sénateur Privert de démissionner pour combattre à armes égales contre ses concurrents. Naturellement, Privert ne l’écoute pas. La démission aurait été un pas dans la bonne direction mais n’éviterait pas le danger. Entre un collègue et un inconnu, le choix du parlementaire se porte naturellement sur son collègue auquel il apporte son soutien à devenir président de la république et qui lui en sera redevable. A avoir une relation avec le président on devient omnipotent en Haïti. La démission du président du sénat n’aurait donc pas changé grand-chose. La solution idéale est la non-participation du parlementaire. Ansi, les principes d’équité, d’une élection honnête, crédible, obtiennent la prééminence sur le droit de se présenter aux élections avec un avantage indu aux dépends de ses concurrents. Les faiseurs de rois ne devraient pas se mettre dans la lignée du roi, au risque de s’oindre eux-mêmes. Un Pierre-Louis Opont qui dirige le CEP et qui est en même temps candidat à la présidence est inconcevable. La même situation arrive au parlement et passe presque comme un fait divers. Mais on n’est pourtant pas au bout de ses surprises.
Des faibles abusés
L’image de Bélizaire et de Leblanc, bâillonnés, ligotés, victimisés, suivant impuissants les magouilles de parlementaires qui veulent assurer la victoire à Privert est difficile à estomper de sa mémoire.
4) Agissant honorablement comme législateur égalisateur, le jeune député Ketel Jean-Philippe offre une planche de salut à son institution : prévenir Privert de voter. Il veut forcer une rupture avec une tradition délétère. Sa bouée de sauvetage est paradoxalement refusée. Avec horreur on voit des sénateurs monter au créneau pour revendiquer à Privert le droit de voter sans que ses compétiteurs eussent ce même droit. Le pays ébahi, assiste à un parlement en train de favoriser un des siens à visière levée au détriment de simples citoyens. Un abus de pouvoir. Si Privert vote pour lui-même il débute les élections avec plus de 4% d’avance ! L’image de Bélizaire et de Leblanc, bâillonnés, ligotés, victimisés, suivant impuissants les magouilles de parlementaires qui veulent assurer la victoire à Privert est difficile à estomper de sa mémoire. Des législateurs chargés de promulguer des lois justes en train de piétiner injustement des citoyens pour placer un des leurs à la tête du pays. Ce n’est pas que la partie adverse soit composée d’enfants de chœur. Mais on avait passé plus de quatre ans à dénoncer ses dérives.
Privert aurait du déclarer: « je suis conscient que mon droit de vote, quoique légal, est injuste envers mes concurrents, mon vote sera blanc.»
Qu’on aurait aimé entendre d’un futur président : « je suis conscient que mon droit de vote, quoique légal, est injuste envers mes concurrents, mon vote sera blanc.» Ce serait une déclaration historique. Sa présidence en aurait été positivement marquée. Renforcée. Cela l’aurait agrandit aux yeux du monde. Mais il n’a pas voté blanc, il est douteux qu’il ait voté Leblanc…ou Bélizaire. La situation est imprévue par la constitution. Elle met les parlementaires clairement et injustement en position avantageuse. Quand la loi cautionne imprévisiblement une injustice, il revient à la conscience citoyenne de faire justice. Les collègues de Privert lui avaient pourtant signalé l’injustice. Il semble n’avoir rien fait pour la rectifier.
Le Privert président de la nation, emboîtera-t-il le pas au Privert, président de l’assemblée nationale?
Dans une élection comme à celle du 13 février, si le parlementaire gagne la présidence provisoire au détriment des simple citoyens, il descend en troisième division. S’il vote pour lui-même, il ne peut alors faire partie des meilleures équipes de la troisième. Les moindres faits et gestes du président Privert seront examinés à la loupe. La façon dont il est arrivé à la présidence provisoire augmente notre inquiétude. Le Privert président de la nation, emboîtera-t-il le pas au Privert, président de l’assemblée nationale. Cautionnera-t-il l’injustice sous une autre forme? En l’aidant comme il l’a fait, le parlement vient de prouver que ceux qui vitupèrent un pouvoir en place agissent similairement à lui, une fois à sa place. Président Privert, vous avez beaucoup à prouver. Votre début a été chancelant. Vous ne pouvez plus vous permettre d’erreurs.
Marc-Arthur Pierre-Louis